Jean Toche est né le 11 novembre 1930 à Nice dans le quartier de la place Arson, d’un père, originaire de Guillaumes au nord des Alpes-Maritimes, du hameau de Villetale, et d’une mère, fille d’immigrés italiens. Après des études au Lycée Masséna, il suit les cours de l’école nationale des arts décoratifs de Nice (atelier Gambier), puis de l’école nationale supérieure des arts appliqués à Paris. Il est admis en 1954 à l’école nationale supérieure de l’enseignement technique (ENSET) de Cachan, section arts plastiques, puis nommé à Thiers Puy-de-Dôme après son service militaire en Allemagne.) En 1958, il s’installe à Paris où il travaille comme maquettiste, décorateur ou illustrateur pour la presse, l’édition et le théâtre. Il enseigne également les techniques d’expression à l’Institut universitaire de technologie (IUT) de Cachan, rattaché à Paris-Sud. Il retrouve Nice en 1994. De 1958 à 1999, il collabore avec le ministère de la Coopération (revue Afrique, les éditions Maeght (revue l’Art Vivant), le Centre Georges Pompidou, Musée national d’Art moderne (revue « Cahiers du musée », catalogues d’expositions), participe à la réalisation de plusieurs monographies d’artistes (W. Kandinsky, F. Léger, J. Lipchitz, J. Gonzalez, M. Duchamp, M. Seuphor, L. Peire ...). Il collabore avec les éditions Dramaturgie à la promotion en France d‘artistes italiens (Dario Fo, Giovanna Marini, Toto, R. de Simone).
De 1978 à 1983, il créé Lou Lanternin revue du Val d’Entraunes (13 numéros) . Dans les années 80, 90 et 2000, il travaille pour le Parc national du Mercantour (collection Cairns, panneaux d’interprétation), pour l’atelier technique des espaces naturels à Montpellier, le Conseil général des Alpes-Maritimes, la commune de Guillaumes et surtout pour la commune d’Entraunes. En 2003, il conçoit et illustre le sentier des oursons, sentier ludique pour enfants à la station de Valberg et en 2007, le sentier planétaire, toujours pour Valberg. En 2012, la commune d’Entraunes lui consacre un espace d’exposition permanent dans la maison dite « du bout de ville », dans une ancienne étable réaménagée, où sont présentés 35 dessins évoquant à la fois le Val d’Entraunes et l’artiste lui-même, sous le titre Tant qu’il y aura du bleu.
Le Val d'Entraunes vu par Jean Toche
Exposition permanente présentée à Entraunes (Alpes-Maritimes) ouverte tous les jours, entrée libre. A l’occasion de la restauration de la Maison du Bout de Ville, qui abrite aujourd’hui l’administration locale du Parc national du Mercantour, Jean Toche a été invité par la commune d’Entraunes à présenter une exposition personnelle de son travail dans les caves restaurées, qui autrefois servaient d’étables. Démarche qui présente à la fois le Val d’Entraunes et l’artiste lui-même dont le vécu s’ancre profondément dans le temps et l’espace de cette région. Pour cette exposition, ouverte en juillet 2012, avec le titre : Tant qu’il y aura du bleu, trente-cinq œuvres sont présentées. La variété des styles, souvent empruntés à la BD, confirme l’intention narrative.
Le pays d'où je viens
Le 5 février 1888, mon père est né dans cette chambre au premier étage de la maison des Toche-Marvaï, à Villetalle. Jusqu’au service militaire, il se contenta d’un territoire limité dont Guillaumes était le centre. Les foires agricoles rythmaient le calendrier des saisons. La guerre de 14-18 lui offrit des horizons bien au-delà de la Haute Vallée du Var qu’il n’avait toujours pas visitée. De retour au pays il fut engagé à la compagnie des Tramways. Il s’installa alors à Nice où il épousa Mathilde, veuve de guerre, ma mère. Moi, je suis né le 11 novembre 1930, à Nice.
Chambre à Villetalle, plume et lavis, 1974
Mon père, plume et lavis, 1978
Le cousin André, dit l'Indien, crayon et aquarelle, 1978
L'oncle Eugène, plume et lavis, 1978
Foire d'octobre à Guillaumes, crayon et aquarelle, 1996
Touristes et paysans
Le point le plus lointain atteint par mon père était le torrent de la Barlatte, porte du Val d'Entraunes à 930m d'altitude. Au-delà, la nouvelle Route des Alpes grimpait jusqu'à 2326m pour franchir le col de la Cayolle. Route surtout fréquentée par de riches excursionnistes qui passaient le col avec leurs puissantes automobiles. On ne comprend pas, à cette époque, pourquoi ces fous d'alpinistes s'obstinaient à grimper aux sommets de montagnes verticales. Mais mon père dut attendre septembre 1943 pour découvrir le Val d'Entraunes, en répondant au SOS de voisins juifs traqués par les Allemands.
Premiers touristes au col de la Cayolle en 1908, encre, 1980
Le Chevalier Victor de Cessole, vainqueur de la grande Aiguille de Pelens en 1905,
Plume, aquarelle et crayon, 1996
Roche Grande, face Nord, gouache, 1992
Famille juive (juifs alsaciens qui sollicitèrent notre aide à Nice pour échapper aux
rafles en septembre 1943), encre, 2001
Découverte du Val d'Entraunes
Pour cacher ces familles juives, mon père pensa spontanément à cette haute vallée du Var où lui-même n'était jamais allé. C'est ainsi que nous découvrîmes le Val d'Entraunes. Surtout le village d'Entraunes. Un bout du monde. Mon père avait raison, les Allemands ne sont jamais montés à Entraunes. L'été 44 fut mouvementé. Ma mère accepta la gérance de l'hôtel qui servit de QG à la Résistance et d'infirmerie après les combats de Daluis. A la fin de la guerre, elle ouvrit une petite auberge dans la cave voûtée de la maison Gollé qu'elle exploita jusqu'en 1962.
La Bonne Auberge à Entraunes (1945-1962), gouache, 1949
Le vieux pont sur le Var (entrée historique du village d'Entraunes), plume, 1958
Pont de bois sur le Bourdoux, gouache, 1946
La maison Liautaud, plume et aquarelle, 1982
La rue qui monte à l'église paroissiale, 1981
Je me souviens...
1944, l'été de mes 14 ans. Réfugié dans la plus haute chambre de l'hôtel, je passais des heures à dessiner ou à construire des maquettes. J'avais besoin de colle, on m'avait dit que l'on trouvait de tout chez le père Gauthier. Je découvris sa minuscule boutique éclairée par une étroite fenêtre :
de la colle, bien sûr, que j'ai de la colle !
II ouvrit l'une des nombreuses boîtes en fer qui s'entassaient parmi un incroyable bazar. Elle était remplie de copeaux jaunâtre.
C'est de la gomme arabique, il faut la faire fondre dans une petite casserole.
A partir de là, je pris l'habitude de passer souvent chez ce vieux monsieur. Il me rassurait.
La boutique du père Gauthier, crayon et aquarelle, 1944
Thérésa, encre, 1982
René Liautaud, historien d'Entraunes (on lui doit aussi plusieurs contes fantastiques),
dessin à l'encre, 1982
Le chalet noir le plus vert de la vallée, linogravure, 1989
Un manteau d'Arlequin
Ce qui étonnait dans cette vallée, c'était l'aspect hétéroclite des toitures. Il y avait de la tôle, lisse ou ondulée, galvanisée grise ou bleue, souvent rouillée, les tuiles et les écailles de terre cuite, parfois de l'ardoise. Quelques toits très anciens étaient recouverts de bardeaux de mélèze. Et puis il y a le temps qui se charge du vieillissement, le beau temps qui dessèche et le mauvais temps qui s'infiltre. Aujourd'hui, le bac acier a fait son apparition imposant une esthétique uniforme.
Refuge du col de la Cayolle, encre, lavis, aquarelle, 1997
Grange à Châteauneuf d'Entraunes, crayon et aquarelle, 1985
Bergerie de l'Estrop, plume et aquarelle, 1993
Maison à Saint Sauveur, plume et aquarelle, 1984
Ferme à Enaux, crayon et aquarelle, 2002
Tant qu'il y aura du bleu
Dans les années 1946-1958, j'étais chargé d'accompagner en montagne les clients de l'auberge. J'exerçais cet emploi avec la plus parfaite désinvolture, car aucune réglementation n'existait alors.
La seule chose que je craignais c'était l'orage. Il n'y avait pas encore de météo fiable. Un vieux chasseur, Adolphe, m'avait confié sa méthode :
Tu surveilles les cimes de l'Encombrette, tant qu'il y aura du bleu, tu peux y aller, tu ne risques rien.
Sentier de la Roche trouée, gouache, 1981
Torun et le langage des fleurs, encre et aquarelle, 1980
Jean-Marc et Léa (sentier du Lausson), plume et aquarelle, 1982
Daniel le photographe (crête du Lausson), plume et aquarelle, 1982
Parcours
J'ai donc parcouru le Val d'Entraunes… mais il serait vain de prétendre avoir tout vu.
J'ai éprouvé l'impatience de découvrir l'autre versant des cols, la tentation de sortir du sentier pour gambader dans l'éboulis.
Apprendre aux enfants le silence en évitant les dalles de grès instables pour surprendre, comme le Sioux, les chamois, bouquetins, et autres marmottes.
Col de la petite Cayolle et le lac (2640m), encre, 1980
Françoise et Ana au sommet de la Gardivole, encre et aquarelle, 1982
Vincent à la recherche de la pierre d'Hannibal, plume et aquarelle, 1980
Faut pas rêver
En passant le Pas de la Porte, qui conduit au col des Champs, avez-vous entendu l'écho de l'olifant de Roland, et, tout en haut de la falaise, les ricanements des Sarrasins en embuscade ?
Le lac d'Allos, merveilleux sanctuaire, y passerez-vous la nuit pour découvrir le charme et la sérénité du soir et du matin ?
Dans les vallons de Sanguinière, éprouverez-vous le plaisir de marcher à l'automne sur un tapis d'aiguilles ?
Le Pas de la Porte, sentier du col des Champs, crayon et aquarelle, 1996
Lac d'Allos (2200m), crayon en camaïeu, 1991
Cabanes de Sanguinière, crayon en camaïeu, 1993
Quand nous partions de Villetalle pour aller à Amen, au-dessus des maisons de Bancheron, le cousin André nous confiait :
Tu vois, disait-il à voix basse, entre les rochers rouges et les rochers gris, il y a des excavations profondes où se trouvent les mines de cuivre, mais il y a aussi de l'or… J'en suis sûr. Sinon pourquoi y aurait-il autant de randonneurs par ici ?
Le pont d'Amen, gouache, 1988 et Cascade de la Boucharde, gouache 1991
La météorite était passée trop près pour ne pas provoquer quelques importantes perturbations. Les calottes glaciaires ont fondu en quelques heures.
Le niveau des océans a augmenté à tel point que les fleuves ont été refoulés jusqu'à leurs sources.
Les pays plats sont sous les eaux. Seules les zones de montagne émergent.
Venise est définitivement engloutie. On a pu récupérer quelques vaporetti pour assurer le service entre Cayolle et Pont de Gueydan.
Y a-t-il encore du bleu sur l'Encombrette ?
Apocalypse, panorama, plume, crayon et aquarelle, 1994
Quelques images en plus
Camion oublié à Bayasse, aquarelle, 1992
Bois de la Boulière, plume et aquarelle, 1984
Moulin de la Barlatte, plume et lavis, 1983
Refuge du col
Enclos de la Barre aux Oiseaux, plume et lavis, 1985
Col de Moulinès, dessin à la plume, 1988
Accéder au Val d’Entraunes
Depuis Nice, direction Digne-Grenoble par la D2202, après Entrevaux direction Gorges de Daluis, Route des Grandes Alpes, Col de la Cayolle (2326m) fermé en hiver.
Mais aussi depuis Barcelonnette ou depuis Digne (voir carte).
Du bourg de Guillaumes jusqu’au col de la Cayolle, le Val d’Entraunes réunit les villages de Villeneuve, Châteauneuf, Saint-Martin et Entraunes.
Son altitude s’échelonne de 950 à 2916m.
Une grande partie du territoire d’Entraunes (1260m) se trouve dans le cœur du Parc national du Mercantour, zone protégée.
A 7km en amont d’Entraunes, le Var prend sa source à Estenc (1800m).
La scénographie et la réalisation technique de l'exposition
sont dues à Pierre Tardieu, maire d’Entraunes,
avec la collaboration de Bernadette Gaymard,
Philippe Payan et Yves Payan.
Les images et les textes sont de Jean Toche.
Catalogue réalisé par Olivier Toche
Paris-Nice, septembre 2016
© Jean Toche