Patrimoine architectural militaire

Dans le val d'Entraunes

Serge Goracci

Commençons par saluer le rôle du Génie. Sa mission a été tout d’abord de rendre la montagne praticable aux troupes. Il a donc participé à la réfection de tous les sentiers des grands vallons menant au col de Gialorgues, au col de la Roche trouée etc... sentiers dont les randonneurs bénéficient aujourd’hui encore.

Puis le Génie a désenclavé les hautes vallées alpines et fourni les spécialistes en construction de fortifications. Parmi ses principaux chantiers, on peut citer : 1891 - Route du col d’Allos. 1891 - Tunnel du Galibier. 1894 - Route du col de l’Izoard. 1898 - Route du col de Vars. 1913 - Route du col de Cayolle.

Dès le 3 septembre 1939 et la déclaration de guerre commune de la France et de l‛Angleterre contre l‛Allemagne, l‛Italie se déclare non belligérante dans ce conflit. Mais, au vu des premiers mois de guerre et des victoires allemandes, Mussolini décide d‛entrer dans ce combat contre la France pour conquérir son quart sud-est. La déclaration de guerre a lieu le 10 juin 1940. Les affrontements qui en découlent entre la France et l‛Italie, entre l‛armée des Alpes commandée par le général d'Olry et l‛armée italienne commandée par le prince Umberto de Piémont, sont désignés sous le nom de Bataille des Alpes. Lors de ces combats, les militaires français vont pouvoir s‛appuyer sur la « ligne Maginot" des Alpes (1) ». En effet à compter des années 1930-1931, la partie sud-est de notre pays bénéficie d‛un programme de construction de fortifications qui s‛étendent du lac de Genève à la mer sur un front de 400 km. Les ouvrages de cette ligne sont implantés pour verrouiller les points de passage importants (cols, débouchés de vallées...) et non en une ligne continue. Nous avons un exemple dans le val d'Entraunes avec les casemates du col de Gialorgues.

Quartier Haut-Var (2)
Le quartier du Haut Var appartient au sous-secteur du Mounier qui dépend du Secteur fortifié des Alpes Maritimes (SFAM). Ce quartier comporte, outre les ouvrages du col de Gialorgues et du Col de Pal (construits après 1938) l’avant poste de St Dalmas le Selvage et l’ouvrage du col de Crous.

Le quartier du Haut-Var était défendu par le 74e BAF et le Ier bataillon du 203e RIA (PC du bataillon à Villeneuve-d'Entraunes), ainsi que par les trois SES du 3e RIA5, soutenus par le Ier groupe du 167e RAP, avec le PC de quartier à Guillaumes : • avant-poste de Saint-Dalmas-le-Selvage (44° 16′ 59,71″ N, 6° 51′ 34,97″ E) ; • petit ouvrage du Col-de-Jallorgues (ou Gialorgues, abri actif non construit: 44° 13′ 22″ N, 6° 48′ 31″ E) ; • petit ouvrage du Col-de-Pal (abri actif non construit: 44° 11′ 35″ N, 6° 50′ 36″ E) ; • petit ouvrage du Col-de-Crous (abri actif inachevé : 44° 10′ 00″ N, 6° 54′ 22″ E) ; • casemate de Guillaumes (ou des gorges de Daluis, en seconde position, C 30 : 44° 04′ 19″ N, 6° 51′ 24″ E).

  1. Casemates du col de Gialorgues
    photographie Ellena-Cuny ]

Ce grand casernement alpin était composé de 6 abris en tôle métro et un bâtiment en dur. Ces petits ouvrages construits dans le cadre du programme Maginot (3) avaient pour mission de protéger le col de Jallorgues (Gialorgues), sur le chemin permettant d'aller de St Dalmas le Selvage à Entraunes et d’empêcher la pénétration de la vallée du Var par les troupes ennemies venant de la Tinée. Les Chasseurs alpins, les Diables bleus constituaient les troupes de défenses affectées tant à Nice qu’à Barcelonnette pour faire face aux troupes italiennes déployées tout au long de la frontière alpine. Ce casernement se situe tout proche de l'endroit où la CORF (4) avait prévu de réaliser un ouvrage, qui ne verra jamais le jour. Ces casemates considérées comme inachevées appartiennent au SFAM (secteur fortifié des Alpes Maritimes), sous-secteur du Mounier (65DI)
2. Poste de commandement du Col de Pal
[©photographie Serge Goracci]
2ème compagnie, 74ème BAF (5) sous le commandement du Capitaine Ardisson puis le Capitaine Sarrade (27 septembre 1939) comporte de nombreux abris alpins réalisés en tôle de métro sur le versant Sud du col de Pal à 2 208 mètres d'altitude. Il regroupe tous les bâtiments du cantonnement de la compagnie.Aujourd'hui, ils tombent en ruines et les utilisateurs de la montagne peu scrupuleux s'en servent de décharge publique. L'ouvrage du Col de Pal lui non plus n'a jamais été construit.

  1. Le cantonnement du Col de Crous
    photographie Payan-Passeron]
    Le cantonnement du Col de Crous (6) était constitué de deux abris alpins pouvant abriter chacun une section et de tentes Marabout. Les abris alpins étaient constitués traditionnellement d'une ossature en tôle métro recouverte d'une couche de béton. Si les ouvrages du Col-de-Jallorgues et du Col-de-Pal ne sont pas construits, celui du Col-de-Crous l’est. Cet ouvrage d’infanterie à quatre blocs dispose donc de deux entrées tardivement réalisées (bloc 1 entrée nord et bloc 2 entrée est), un observatoire ou bloc 3 muni d’une cloche obs/VDP (7) et une casemate d’infanterie ou bloc 4 armé de deux créneaux JM (8). Ultérieurement une cuve pour mortier est réalisée.

  2. L'avant-poste de Saint-Dalmas le Selvage
    [©photographie Loviny Alain]
    L'Avant poste de Saint-Dalmas-Selvage (6) est un avant-poste à cinq blocs destiné à interdire la route du col de la Moutière avec un bloc 1 servant d’entrée au sud, un bloc 2 qui sert d’issue de secours au nord, un bloc 3 qui sert d’observatoire avec une cloche obs/AP et les blocs 4 et 5 chacun armés d’une mitrailleuse.

  3. Col des trente souches

    ! Au nord les ruines d'une position d'infanterie construit en 1940 et au sud les restes d'un camp de marabouts et d'un système de tranchées aménagées.

    1. Col de la Cayolle positions d'artillerie préparée: deux batteries de 155L étaient situées au Col de la Cayolle,une au sud, emplacement encore visible et une au nord . Elles appartenaient à la 1ere Bat. du 167° RAP.
    2. Vallon de l'Estrop
      Abri en tôle métro accolé à une petite construction, occupée aujourd'hui par des bergers du secteur et dénommée Cabane de l'Estrop

    [©photographie Serge Goracci]
    [©Dessin Toche jean]

    Les traces de la présence militaire à Saint Martin d'Entraunes

    [©photographie Serge Goracci]

    St Martin d’Entraunes garde quelques traces de la présence du cantonnement de l’état major militaire notamment quelques peintures murales sur l’ancien moulin à farine et sur l’ancienne fabrique de laine dans le quartier des Clots.

D'abord la représentation de la main de Fatma (*) emblème des tirailleurs algériens du 27ème RTA (9) basé en Avignon et seul régiment ayant le croissant comme signe distinctif dans notre région. Cette main était l’insigne de la compagnie CIE (compagnie d’infanterie ). Ils vinrent en manœuvre d’été dans le haut-Var de 1933 à 1939 pour la restauration des terrains de montagne. Ils ont participé à des travaux de terrassements (chemins, pistes, positions de combats le long de la "position de résistance" ) Ils ont réalisé (ou amélioré) un sentier entre Entraunes et le col de Trente Souches et réalisé des travaux de fortifications de campagne au col de Pal .(10) (Voir les travaux d'Archeo-Alpi-Maritimi sur les traces d'implantations militaires dans notre région). Ensuite la représentation sur la facade d’un fusil mitrailleur Modèle 1924 modifié 29. Le MAC 24/29 est un fusil-mitrailleur français conçu en 1924 par la Manufacture d'Armes de Châtellerault. Modifié en 1929 afin de tirer la nouvelle cartouche de 7,5 mm modèle 29C.

Quelques graffiti

La mémoire en tant que trace est un aspect important du graffiti : en gravant maladroitement sur un mur le témoignage de son passage l’auteur de graffiti transforme son support en un véritable pan de la mémoire individuelle mais aussi collective. Voici un bel exemple encadrant un croquis en coupe du bâtiment, exemple trouvé à l'intérieur de la fabrique Ollivier à St Martin d'Entraunes : celui du cuisinier du mess des sous-officiers du 25 ème RTA, un dénommé Paul Charnay et celui en 1923 d'Alfred Ollivier , fils d'Aimé Ollivier , propriétaire de la fabrique

[©photographie Serge Goracci]

Le graffiti, marque intrinsèque de la res militaria, peut se faire plus élaboré et devenir fresque relatant les faits d'armes de l'armée française, victoire ou ... défaite, comme ce magnifique exemple relaté dans la colossale étude sur l'histoire des hameaux de Barels publié par l'écomusée de la Roudoule (11).
Dans la ferme de Joseph Baret se trouvent les vestiges d'une fresque représentant des soldats dont un Prussien coiffé du casque à pointe et de saint Victor à cheval en armure du 16e siècle.

Ce genre de représentation propre à l’idéologie revancharde de la Troisième République correspond parfaitement à la datation de cette partie de la maison. Cette réalisation aurait donné à la bâtisse l’appellation locale de « maison du capitaine"(12)

mais aussi quelques gravures.

Certaines sont particulièrement intéressantes car réalisées souvent avec soin et font référence clairement à des unités, ce qui permet de reconstituer un historique des passages des soldats.

[table d'orientation du col de Pal]
[©photographies Serge Goracci]
Le cor de chasse apparait souvent. L’embouchure est en général à gauche. Elles sont parfois signées.
[Stèle du col des champs: ©Serge Goracci] [stèle du col de Pal: ©Marc Endenger]