L'oraison à Saint-Roch
Serge Goracci
Ce document trouvé dans le fonds Giniey-David a été intégré dans notre base Archives sous la cote [06071-AN-01130]. La famille Giniey-David est une vieille famille du canton de Guillaumes qui posséde des biens immobiliers sur le terroir de Bouchanières.
AD 06. Cadastre Guillaumes. 25 FI 071/1/ AO
Cette Oraison à St Roch pourrait peut-être avoir un lien avec l'église de Bouchanières construite en hommage à St Roch honoré tous les 16 août, principale fête du hameau. Nous partons de l'hypothèse que ce document trouvé dans un fonds "guillaumois" évoque la cité de Guillaumes.
Voici la transcription de ce document avec l'orthographe originelle:
Oraison à St Roch
Pour être préservé de la peste qui est à Marseille
dans le temps que tout le royaume etoit
presque à la famine a cause de billets de monaye
le 18 aoust 1720Accablés de malheur, menacés de la peste
Non, grand Saint nous ne craignons rien
Et rien ne nous sera funeste
Si vous êtes notre soutien.
Visitez ce peuple chrétien
Et venez apaiser la colère céleste
Mais n’amenez pas votre chien
Nous n’avons pas de pain de resteA l’occasion des gardes qu’on metoit
aux portes pour visiter les passeportsNisi Dominus custodierit civitatem (1)
Si vous même Seigneur ne gardez la Cité
des gardes qu’on y met la vigilance est vaine
Parfums et passeports du bureau de santé
Tout est contre la peste onguent mitou mitaineli voustre
par Antelmy
Ce texte pourrait nous rappeler l'antienne célèbre fréquemment utilisée aux siècles passés par les populations désespérées pour conjurer les principaux fléaux: A fame, peste, bello, libera nos, Domine_(2). Anodine en apparence, cette oraison recèle en filigrane un certain nombre d'indices historiques fort intructifs.
D'abord la date 18 août 1720 est à mettre en relation avec le titre du document: Oraison à St Roch. La fête de St Roch, pélerin est célébrée depuis le XV ème siècle tous les 16 août.
Ensuite, l'anné1720 qui reste une année particulièrement noire pour le Royaume de France tant d'un point de vue économique que d'un point de vue sanitaire.
- D'un point de vue économique .
Le 5 janvier 1720, alors que les caisses du royaume sont vides et que la dette publique atteint des sommets, le régent Philippe d’Orléans, successeur de Louis XIV, nomme contrôleur général des Finances de France John Law de Lauriston et lui confie la création d’une banque qui fera tourner la planche à billets et les têtes des spéculateurs de la rue Quincampoix. Le discrédit des billets de la Banque et des actions de la Compagnie devient tel que la foule se presse pour réclamer des remboursements. Une aventure économique inédite et fulgurante qui se solda par le premier krach boursier de l’histoire. C'est bien ce que mentionne l'auteur de l'oraison: "dans le temps que tout le royaume était presque à la famine à cause des billets de monaye".
- D'un point de vue sanitaire.
Curieusement il est remarquable que l'auteur de cette oraison à St Roch pour être préservé de la peste qui est à Marseille emploie le mot « peste », plutôt que « mal contagieux » euphémisme très en usage à cette époque où l'on pensait pouvoir, par cet artifice rhétorique, détourner le fléau.
1720, c'est l'année de la peste à Marseille puis en Provence.
Marseille est la capitale du négoce. La spéculation nationale entraîne une banqueroute marseillaise. Il s'ensuit une épidémie de peste, Marseille est dévastée par la contagion. Elle devient la "ville maudite du royaume" lors de sa mise en quarantaine. La famine s'ajoute à la peste. Après 6 mois de peste et de famine, Marseille a perdu la moitié de sa population.
Marseille a été touchée plusieurs fois par la peste, pourtant l’épidémie de 1720 (6) est celle qui aura laissé le plus de traces, qui aura le plus frappé les esprits, non seulement parce qu’elle est la dernière à avoir atteint toute la Provence mais parce que 40 000 Marseillais meurent de la maladie, soit la moitié de la population de l’époque. Si l’épidémie recule à partir d’octobre 1720, il faudra toutefois attendre la fin de l’année 1722 pour que s’éteignent les derniers foyers de peste en Provence.
La peste aurait été rapportée du Levant par un navire, le Grand Saint Antoine, dont la cargaison de toiles, mal isolée, contamina la vieille ville de Marseille vers la mi-juin 1720. La responsabilité de l’épidémie fut longtemps imputée à ce navire, en provenance de Syrie. La ville était pourtant soumise à des conditions sanitaires plutôt strictes concernant l’accostage des bateaux car Marseille faisait commerce avec les pays du Proche-Orient où la peste était endémique. Une équipe de l'Institut Max-Planck (5) révèle aujourd'hui que l’épidémie de peste qui a ravagé Marseille en 1720 ne venait pas d’Asie, comme on le pensait jusqu’alors, mais est en fait une résurgence de la grande Peste noire ayant dévasté l’Europe… quatre siècles plus tôt.
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Les mesures de précaution. La peste semble avoir pris Marseille au dépourvu. L'été voit se répandre la maladie. elle gagne Aix en Provence en août, Apt en septembre, Toulon en octobre, Arles en novembre. L'épidémie diffuse jusqu'aux localités des contreforts de l'arc alpin alors que les mesures de protection entraient à peine dans leur phase d'organisation. La responsabilité de l'administation centrale (La Cour, les ministres et leur représentant, l'intendant de Provence, Cardin le Bret et Pierre Chirac 1er médecin du Régent) semble pour Joël Coste largement engagée. Leur attentisme doublé de nombreuses erreurs de jugement auraient contibué à la propogation de l'épidémie (7)
En revanche, les institutions sanitaires dans le Comté de Nice, elles, relevaient des autorités sardes et différaient sensiblement de celles de Provence. Dans le royaume de Piémont-Sardaigne, la réaction face à cette menace se manifeste à deux niveaux : par des mesures et des directives nationales, et par leur application au niveau local. La fermeture immédiate des frontières est ordonnée par un édit du 25 juillet 1720, qui suspend le commerce maritime et terrestre entre le royaume et «la ville de Marseille, toutes les terres et lieux de Provence et côtes de France situées au-delà du Var». Le régime sarde comportait aussi un consultat de la mer chargé entre autres de prévenir les épidémies et les magistrats de santé (8) qui avaient reçu du Roi tous les pouvoirs pour légiférer et punir en matière d'hygiène notamment en cas de peste. Ce comité a donc établi un cordon sanitaire pour protéger la cité de la contagion. Grâce à ces précautions, Nice et son comté ont été relativement épargnés par la peste.
Mais nous sommes à Guillaumes et l'auteur de notre Oraison à St Roch ne manque pas d'évoquer les mesures de précaution prises au niveau local, dans cette enclave française qu'est Guillaumes au sein des Etats sardes.
A l’occasion des gardes qu’on metoit aux portes pour visiter les passeports_ (...)
des gardes qu’on y met la vigilance est vaine,
parfums et passeports du bureau de santé__.Bien qu'éloignée du coeur de l'épidémie, Guillaumes a dû vraisemblablement respecter les diverses mesures relatives à l'instruction précise envoyée par M. de Caylus, lieutenant général de Provence (9) à toutes les vigueries, instructions concernant toutes les questions ayant trait à la fermeture des villes et villages, la circulation des hommes, les certificats de santé , bureau de santé ou conseil de santé qui aura l'ordonnance et l'exécution de la police concernant la santé à laquelle il commettra ceux qu'il jugera à propos etc... Monique Lucenet nous précise que les échevins au niveau municipal puis les parlementaires au niveau provincial nommèrent des bureaux de santé, composés de médecins et de chirurgiens. Tous reçurent des pouvoirs discrétionnaires si bien qu’ils finirent par avoir raison du mal à force de prévention, l’ultime précaution étant de faire surveiller les entrées, les murs et les alentours des villes par un cordon sanitaire d’hommes armés.
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la médecine des hommes:
Parfums et passeports du bureau de santé
Tout est contre la peste onguent mitou mitaineLes apothicaires font le plein de potions, médicaments, parfums, cataplasmes et onguents où entrent divers composants parmi lesquels on peut relever : « camomille, miel , cassonade, sucre, eau d e rose, raclures de corne de cerf, poudre de vipère, myrrhe, aloès, térébenthine, jaune d’œuf et surtout basilic (10). Les produits désinfectés étaient marqués au fer, le courrier percé par une sorte de gaufrier muni de pointes acérées était placé au dessus de feux d’encens, myrrhe, romarin, aloès, pin, laurier, genièvre etc... Le soufre, la chaux, le tabac, le vinaigre apparaissaient comme de bons préservatifs. Il fallait porter sur la bouche une éponge imprégnée du vinaigre "des 4 voleurs" composé, outre de vinaigre blanc, d’absinthe, genièvre, marjolaine, sauge, clou de girofle, romarin et camphre. Le parfumage joua un rôle essentiel dans la prévention comme dans les soins.(11) A cela s'ajoute les précautions vestimentaires notamment les gants: les mitaines et les mitous (12) sorte de longs gants qui recouvraient l'avant bras.
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la médecine du ciel
Cependant l'auteur semble avoir plus confiance en la miséricorde de Dieu que dans l'efficacité des mesures prises. La vigilance des gardes est vaine, seul le soutien des saints protecteurs en l'occurence St Roch peut apaiser la colère céleste . Cette colère comme le signe manifeste que le fléau est toujours vécu comme une punition de Dieu.Et devant le caractère divin de l’épidémie, la prière semble apparaître comme le traitement le plus efficace.
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l'auteur
L'auteur est un certain Antelmy. Peut être fait-il partie de cette vieille famille de Trigance (Var), famille bourgeoise dont les membres embrassèrent volontiers l'état ecclésiastique. Le chanoine H.Espitallier(13) historiographe du diocèse de Fréjus, a publié en 1905 une étude sur cette illustre famille.
Antelmy est certainement un lettré car son oraison respecte encore la rigueur d'une versification classique enchaînant un huitain fait majoritairement d'octosyllabes et un quintil d'alexandrins où alternent rimes féminines et rimes masculines.
Et son oraison n'est pas dénuée d'humour surtout lorsqu'avec malice il implore St Roch de venir sans son chien:Mais n’amenez pas votre chien
Nous n’avons pas de pain de reste