L’incendie d’Entraunes du 19 janvier 1875
par Serge Goracci
L'histoire des villages du haut-pays est émaillée de grands fléaux : épidémies et famines qui déciment les populations, faits de guerres et surtout les incendies qui ravagent les habitations : Guillaumes en 1682, Saint-Etienne-de-Tinée en 1594 puis en 1929 et pour le Val d’Entraunes, l’incendie de Villeneuve-d’Entraunes en 1565 et en 1924 et Entraunes qui n’échappe pas à la règle et fut incendiée trois fois. Une première fois en 1446 par les Routiers, ces meutes de brigands, de malandrins d’écorcheurs qui parcouraient les routes en quête de larcins et moyennant finance se louaient au plus offrant. Leur chef Archimbald d’Abzac venu de Gascogne à la tête de _plusieurs bandes sanguinaires_ dut vraisemblablement louer ses services au comte de Provence, allié de la France contre la Savoie, lorsque ce dernier engagea ses troupes dans le Val d’Entraunes en y commettant de cruelles dévastations. Une deuxième fois en 1556 par Jean-Baptiste Grimaldi , seigneur d’Ascros, qui osa tourner ses fureurs parricides contre sa propre patrie ! Les bandes provençales enrôlées sous ses ordres portèrent la désolation dans le Haut-Comté de Nice. Les villages de Torre, Isola, Saint-Sauveur et Saint-Etienne, furent forcés avec menace d’incendie à prêter hommage au Roi de France ; le château d’Entraunes, entouré de bonnes fortifications, voulut vainement résister. Le barbare Grimaldi l’ayant emporté d’assaut, le fit livrer aux flammes. (Voir: Durante Louis. _Histoire de Nice depuis sa fondation jusqu'a l'année 1792, avec un aperçu sur les évènements qui ont eu lieu pendant la révolution française à tout 1815 inclusivement_... , Tome II, de l’imprimerie de Joseph Favale. Turin, 1823 ( p.125)._ et la troisième fois le 19 janvier 1875. Les charpentes, les toitures traditionnelles en bardeaux ou en chaume, les cheminées, les granges regorgeant de foin pendant l’hiver, l’utilisation des lampes à huile et autres bougies, l’habitat regroupé autant de facteurs qui peuvent expliquer l’ampleur du sinistre. Ce fait divers catastrophique fut repris par les médias locaux et relayé dans les medias nationaux.
REVUE de PRESSE
"LE PHARE DU LITTORAL" du 22 /01/1875
[Lire l'article du Phare du Littoral du 22/01/1875]
« _p. 2 (4ème colonne)_. Un sinistre épouvantable vient de jeter la consternation dans le village d’Entraunes et dans ses environs. Le 19 janvier entre six et sept heures du soir, un incendie dont on ignore la cause a presque complètement détruit ce village. Les maisons pour la plupart couvertes en bois et en chaume, les fourrages, les récoltes, tout a été consumé. Le village d’Entraunes possède environ 400 habitants; il est situé à l’embouchure du Var, au delà de Guillaumes. Aussitôt que le sinistre lui est parvenu, Mr le Sous-Préfet de Puget-Théniers est parti immédiatement: mais à l’heure où nous écrivons, il n’est peut être pas arrivé dans le village incendié, car il faut près de deux jours pour aller de Puget-Théniers à Entraunes, à dos de mulet. D’après les renseignements parvenus dans l’après midi : sur 54 maisons, dont se composait le village d’Entraunes, 49 auraient été complètement brûlés ; on aurait à déplorer la mort d’un homme et cinq ou six autres seraient légèrement blessés. Environ 1600 moutons, chèvres, mulets ou vaches auraient péri. Il n’y aurait qu’un très petit nombre de maisons assurées. Du pain et du vin ont été immédiatement envoyés par les soins de Mr le sous préfet, pour pourvoir aux nécessités les plus pressantes. Ce sinistre est pour le village déjà peu fortuné un désastre. La misère hideuse se dresse comme un fantôme devant les incendiés. Les maisons brûlées , plus d’abris : la récolte détruite, plus de pain. La faim effrayante semant partout la désolation, et, comme cadre à cet affreux spectacle, les ruines fumantes amoncelées par les flammes.»
Le "[JOURNAL DE NICE]" du 22/01/1875
p. 2 (4ème colonne) Lancement d’une souscription générale au profit des sinistrés : "En présence de ce désastre nous nous empressons d‘ouvrir, dès maintenant, au profit des victimes d’Entraunes, une souscription en tête de laquelle Mr Decrais, Préfet des Alpes-Maritimes, nous pris de l’inscrire personnellement."
"LE FIGARO" du 23 janvier 1875
Lire l'article du Figaro p.2, haut de la 5ème colonne
"Le TEMPS" du 24 janvier 1875
"LE TEMPS" du 25 janvier 1875
p.3 (1ère colonne) Lire l'article du Temps
"LE XIXème siècle" du 26 janvier 1875
bas de la 6ème colonne
[Lire l'article] Dans sa chronique des départements "Le XIXème siècle" reprend textuellement l’article du "Phare du littoral".
Photo d’Entraunes en 1878-80. [Fonds Payan Jean-Claude]
Les toitures ont été refaites à l’exception au premier plan du bâtiment de la fabrique d’Angelin Fabre qui n’avait pas été touché par les flammes grâce à la protection du Var .
Angelin Fabre et sa famille [fonds Payan Jean-Claude]
L’incendie de 1875: témoignages
Transcription de témoignages locaux et commentaires de Liautaud René
[Fonds LIAUTAUD René, archives manuscrites, été 1973]
- Appris de Tatie (* Ernestine Payan native du Bourdous)
L’incendie de 1875 daterait du 5 février (jour de la Sainte Agathe). Il aurait débuté dans la maison de Constance (aujourd’hui Viroulet puis Guichard). Etait-ce bien Constance ou celle qui la précédait ? (car j’ai connu Constance, étant enfant). Toujours est-il que cette femme qui allumait sa lampe à pétrole, qu’elle venait de « garnir », la vit prendre feu. Affolée, elle jeta la lampe enflammée dans la cheminée où des brindilles ou autres branchages s’enflammèrent à leur tour puis passèrent au mobilier sans compter la suie de la cheminée. Puis tout le village, de là au pied-de-ville fut en feu, en raison d’un très violent vent nord- sud, ce qui explique que tout ait brûlé à l’exception du bout-de-ville et de l’église. Dans la maison de marraine, il y aurait eu un mort : le sonneur de cloches de l’époque. * Témoignage d’Adolphe (* Adolphe Payan, maçon) Dans presque toutes les maisons où il travaille, il avait remarqué des traces noires dues à l’incendie * Appris de M. Brun. 3/09/1973 Lors de l’incendie de 1875, sur l’actuelle place Fontanie existait un immeuble de quatre étages, - de la ... chapelle à l’actuelle maison de Joseph l’incendie ayant fait de grands ravages à l’immeuble, celui ci ne fut pas reconstruit. Le rez-de-chaussée appartenait, partie aux Fabre, ancêtres maternels de Brun, partie à Siffroy. Les étages appartenaient à des propriétaires divers de fermes dont ceux de Sagne-Colombe. En droit d’après Brun, le sol demeurerait propriété de ceux du rez-de-chaussée, donc de Fabre et de Siffroy. Les autres n’eurent plus rien de l’immeuble détruit. Comment évaluer la part des Fabre ? celle de Siffroy, - la plus importante apparemment fut laissée à l’abbé Rochard qui la transmit à l’abbé Lheurens( ?) celui ci la céda à la commune en échange d’une ou deux pièces- sacristie – derrière la chapelle et donnant sur l’immeuble qui a fait remettre en état (...) * Toujours selon les renseignements de Brun, lors de l’incendie de 1875, le maire de l’époque un Baudoin (propriétaire de la maison de Venturini fit en sorte pour repousser les secours espérant que leurs maisons étant détruites et manquant de disponibilités pour les reconstruire, beaucoup d’Entraunois abandonneraient leurs terres pour aller s’établir ailleurs et céderaient leurs biens pour une bouchée de pain (confidences de ce Baudoin à la mère de Brun, une Fabre, donc appartenant à une des principale familles de l’époque). Le projet échoua partiellement, grâce à l’intervention de l’instituteur (Rousset, marié au Tiouré ( ??) ) et Payan, - grand-père du maire actuel – celui-ci, estropié de la guerre de 1870 avait un emploi réservé à Nice. Venu à Entraunes pour faire rebâtir sa maison, il entreprit avec l’instituteur une violente campagne contre le maire qui fut renvoyé aux élections suivantes car grand était le mécontentement. Cette attitude du maire expliquerait une anomalie apparaissant à la lecture des documents de l’époque : l’anormale lenteur pour débiter les arbres en forêt et des difficultés administratives que rien ne justifiait. * Toujours selon Tatie : un autre incendie, en 1897, débuta dans les mêmes parages grange de Louisset ( ?) maison Coste actuelle). Feu mis au fourrage par lanterne. Grange, maison Roubaud-Frache et Roubaud Adolphe et Roubaud César détruites en partie. Tout le viullage en activité. Cloches entendues jusqu’au Bourdous. Le père de Tatie, alité par une jaunisse, se lève, accourt pour participer aux secours. (sa jaunisse en guérit). Marraine précise que son père était aussi accouru du Serre.