La chapelle Saint Geniès (1)
Serge Goracci
Cinq grandes abbayes bénédictines contribuèrent au peuplement et à la mise en valeur du haut pays : St Pons de Nice, St Honorat de Lérins, St Victor de Marseille, St Eusèbe d’Apt et l'abbaye San Dalmazzo de Pédona . Le diocèse de Glandèves comptait en majorité des dépendances de St Eusèbe d’Apt mais l’abbaye San Dalmazzo de Pedona, plutôt présent dans le diocèse de Nice (vallée de la Tinée et de la Vésubie ), eut quelques possessions ou dépendances dans la Vallée du Var (Sausses, Castellet les Sausses) et à Bante sur la commune de Villeneuve d’Entraunes. La chapelle St Genès de Bante (1640- 1650) construite au milieu du XVII è siècle aurait remplacé peut être le prieuré San Ginié depuis longtemps disparu et qui avait été acquis par les moines bénédictins de l'abbaye bénédictine de Saint-Dalmas de Pedona vers 1155-1160. (2)
1. Le patronyme de St Geniès,
Genesius est un cognonem, un surnom latin transposé du grec genesios, (qui a rapport avec la famille ou la naissance, ou l’origine) en français devenu Geniès ou Genès, en langue d’oc Ginièis d'où la popularité du patronyme Ginesy , Ginesi, Ginesÿ, Giniey dans le secteur du Val d'Entraunes. Le nom connaît de multiples formes : Genès, Genest, Geniez, Ginié, Giniès, etc... mais qui se cache dernière ce patronyme. Nous ne sommes pas en présence d’un seul personnage mais vraisemblablement de plusieurs ayant porté le même nom et ayant vécu à des époques différentes. Beaucoup de personnages ont été honorés sous ce vocable : un évêque de Lyon en 658, un évêque de Clermont vers 650, un comte d'Auvergne mort vers 710 et un Saint Genes, martyr à Thiers (Auvergne). Mais si nous prenons les plus anciens d’entre eux, deux sortent du lot. Tout d’abord Saint Geniès, comédien et mime, ayant subi le martyr à Rome en 303 ou en 286 pour avoir affirmé sa foi chrétienne en présence de l'empereur Dioclétien. Saint Geniès de Rome se rencontre dans des régions variées allant des Vosges à la Gironde. Ensuite Saint Geniès, greffier ou notaire du prétoire en Arles ayant subi le martyr au début du IVe siècle pour avoir refusé de transcrire sur ses registres la condamnation de chrétiens. Saint Geniès d'Arles est honoré plus particulièrement dans l'ancienne Narbonnaise. Il semblerait bien que les deux récits aient une même source et qu'il y a eu très probablement confusion entre les deux personnages, encore que Régine Pernoud estime qu'il ne faille pas les confondre. (3) Cependant, Il apparaît clairement du recensement établi par Roger Magnard que le personnage le plus souvent honoré est Saint Geniès d'Arles, notaire du prétoire suivi de près par le St Géniès de Rome, d'autant plus que dans l'un et l'autre cas les dates de 286 et 303 se chevauchent. On sait que les persécutions décidées par Dioclétien l'ont été à ces époques et il est évident que des confusions se sont manifestées dans les esprits. (4) La popularité de St Géniès d'Arles devint si grande que de nombreuses chapelles essaimèrent dans toute la Provence orientale, la petite chapelle de Bante en garde le témoignage.
2. Description de la chapelle.
La chapelle présente une nef unique rectangulaire avec chœur sans resserrement, un couvrement en berceau plein cintre non appareillée (plâtre sur armature lattes de bois). Les murs intérieurs sont couverts d'un enduit badigeonné. La couverture est en tôle ondulée et la façade percée d'une porte encadrée de deux fenestrons et surmontée d'un oculus. Un clocheton massif au sommet du pignon et des murs extérieurs enduits et badigeonnés de blanc (5)
L’intérieur très simple est décoré d’un tableau d’une facture assez naïve et peu inspirée représentant Saint Giniès entouré des apôtres Saint Philippe et Saint Jacques le Mineur surplombé par la Vierge Marie sur un nuage entouré de chérubins. Saint Philippe et Saint Jacques sont très souvent représentés ensemble dans l’iconographie religieuse. Et c'est la raison pour laquelle ils sont fêtés le 1er mai, jour où leurs reliques furent transférées dans la basilique romaine des douze apôtres. Françoise Chandernagor (6) explique :
"Saint-Jacques était le frère de Jésus. L’aîné des frères, Jésus étant évidemment l’ainé de sa fratrie. Il est devenu à la mort de Jésus le premier évêque de Jérusalem, si l’on peut employer le mot. En somme : le premier pape, puisqu’il n’y avait pas encore de chrétiens en dehors de Jérusalem. Un siècle plus tard, quand les juifs de Jérusalem et les judéo-chrétiens ont été détruits par les Romains, qui les ont éliminés progressivement, l’Eglise de Rome a repris le flambeau. L'Eglise de Rome était gênée par l’existence des frères. Progressivement, on a déplacé Jacques, en l’obligeant à partager sa fête avec Philippe l’apôtre, sur lequel on ne sait quasiment rien du tout. Tout cela pour ne pas faire d’ombre à Jésus."
3. Le tableau représentant S.Jacobus Minor, S. Genesius, S.Philippus
Le tableau représente donc Saint Geniès décapité et les deux apôtres Philippe et Saint Jacques-le-Mineur
Saint-Philippe ou S. Philippus
Le martyre: Philippe, le 5ème apôtre de Jésus, serait mort à 86 ans après avoir été battu à coup de verges, lapidé et crucifié la tête en bas sous Domitien. !Il aurait été enterré avec ses filles à Hierapolis. Selon la légende dorée (7), Philippe avait toujours avec lui deux de ses filles, vierges très saintes, par le moyen desquelles le Seigneur aurait converti beaucoup de monde à la foi.
Les attributs du saint: L’attribut traditionnel de Saint-Philippe est la croix à double ou triple traverse (mais en pratique, la croix de Philippe n'a le plus souvent qu'une seule traverse) ou parfois le fouet l’un des instruments de son martyre.
Ici, il est représenté très simplement en habit de pèlerin avec cape, bâton et livre (missel).
Saint-Jacques ou S.Jacobus Minor
Saint Jacques d’Alphée , cousin de Jésus, est dit le Mineur par opposition à l’autre saint Jacques, fils de Zébédée dit le Majeur, car il fut un des premiers à suivre Jésus. Tous deux étaient des apôtres.
Saint Jacques dit le mineur dans la tradition romaine est désigné dans les évangiles comme le frère du Seigneur dont il est appelé "frère" à la manière sémite c’est à dire de sa parenté ou plutôt son cousin (fils d’Alphée, frère aîné de Joseph époux de la Vierge Marie).
Le martyre : Selon Flavius Josèphe, il fut précipité du haut de la terrasse du Temple (Pinacle) dans la vallée du Cédron où un foulon (tanneur) l'acheva à coup d'outil (un bâton) après un début de lapidation. Il fut monté en haut du temple de Jérusalem et précipité dans le vide. Comme il vivait encore après sa chute, un individu
prit une perche de foulon, lui en asséna un violent coup sur la tête et lui fit sauter la cervelle. (7)
Les attributs du saint: cette perche de foulon est un gros bâton, une sorte de pilon, avec lequel les fabricants d’étoffes frappaient les draps de laine mêlés à des matières dégraissantes, pour en exprimer le suint et l’huile. C’est pour cette raison que saint Jacques le Mineur est représenté avec cet instrument et qu’il a été adopté comme saint protecteur par les chapeliers qui foulaient les poils et laines pour fabriquer le feutre.(8) Saint Jacques le Mineur porte bien ici un gros bâton noueux pour rappeler l’instrument de son martyre , forme de massue qui tranche avec le bâton de Philippe le pèlerin. Il porte aussi sous le bras un livre qui pourrait peut être bien être son Épître canonique (faisant partie du Nouveau Testament) bien que traditionnellement il soit représenté par un rouleau et enfin la cape de pélerin qui était dans l'iconographie traditionnelle portée plutôt par Jacques le Majeur alors que Jacques le Mineur portait lui le costume d'évêque. Cependant les premières illustrations des livres imprimés se plaisent souvent à présenter comme ici Jacques le Majeur et Jacques le Mineur sous le même costume, celui du pèlerin. (9)
Greffier à Arles en Gaule il refusa d'enregistrer les édits qui ordonnaient de persécuter les chrétiens.
Il refusa d’inscrire une sentence frappant des chrétiens dans les minutes du Tribunal, se déclarant lui-même chrétien.
Directement menacé il tenta de fuir et demander le baptême, et pour cela voulut rejoindre les chrétiens qui s’assemblaient dans l’autre partie d’Arles, au-delà du Rhône. Il voulut rejoindre l’autre rive à la nage, mais, rattrapé par les gardes il fut décapité près d’un mûrier sur la rive du faubourg et baptisé dans son propre sang. La légende dit qu'il ramassa sa tête et la jeta dans le Rhône. Les anges le convoyant jusqu'a Cartagène.
Les chrétiens inhumèrent son corps dans le cimetière public à l’est de la ville d’Arles en 408. Le martyre de Geniès devint rapidement célèbre en Arles et dans toute la province de Narbonnaise. Sa vénération était si répandue qu’Arles était alors dénommée Urbs Genesii.
Les attributs traditionnels de ce saint sont: le parchemin, symbole de sa fonction en magistrature (c’était un notaire-scribe) et la palme, symbole du martyr.
Le saint y est représenté ici en costume romain, décapité. iI porte sa tête.
D'autres représentations de St Géniès dans le périmètre: une chapelle à Beuil au hameau du Ciriei
et un portrait de St Genes avec ceux de St François de Salles et de Ste Marguerite Marie (sic) sur l'autel des âmes du Purgatoire dans la paroisse St Nicolas à Châteauneuf d'Entraunes.(10) . Cet autel est maintenant voué au Sacré-Cœur de Jésus. Voici l'inscription qui se trouve sur le tableau : SAN GENESIO SERI VANO E MARTIRE