1. Un premier projet avorté
Un premier projet est dressé par M. Michel conducteur des Ponts et Chaussées à Puget-Théniers. Ce projet revint non approuvé dans le commencement de l’année 1898. Deux critiques principales furent émises. La première critique, qui se base sur la circulaire du 23 décembre 1893 sur l’assistance et l’hygiène publique, était motivée. Elle rappelait que les centres hospitaliers doivent être une installation complète comprenant des services distincts pour les fiévreux et les blessés, un service d’isolement complété par un service de désinfection, un service d’hydrothérapie, une salle d’opération conforme à l’exigence de l’hygiène et une maternité. La seconde critique était non fondée, elle estimait le coût de 5 000 Francs par lit supérieur à la norme fixée alors à 2 500 Francs. Dans une évaluation postérieure datée de 1902, le coût du lit se trouva fixé à 7 666 francs. « Une construction de cette nature ne doit avoir aucun caractère architectural et se réduire à une construction modeste » Le Ministre de l’Intérieur, Paris le 8 juin 1897. Pourtant à bien y regarder, ce projet aurait pu tout aussi bien se confondre avec un collège, un lycée, un internat ou encore une caserne…
Ce projet est celui d’une maison de santé et non d’un hôpital-hospice
Premier projet présenté par le Conducteur des Ponts et Chaussées Michel.14 avril 1897. Fonds AD06 1X198.
2. Un emplacement sujet à polémique
Le quartier de la Trinité, ensoleillé fait l’unanimité
Dans un premier temps, la commission administrative de l’hospice de Puget-Théniers, sous les conseils avisés du docteur Barety (1er interne niçois reçu à la faculté de médecine de Paris et Conseil général du canton) avait approuvé à l’unanimité un emplacement sur la rive gauche du Var ensoleillée toute l’année.
Salubrité & spéculation immobilière ne font pas bon ménage
La spéculation immobilière de certains propriétaires pugétois (M.M du Collet, Raybaut et Papon et Mallebequi) conduit la Commission à revenir sur sa décision et à faire en sorte que la ferme du quartier de la Condamine, propriété d’un mineur récemment mis sous tutelle, devienne le site de construction du futur hôpital.
Plan d'implantation du nouvel hôpital par l’architecte Charles Maurel, 5 mars 1900. Fonds AD06 1X198.
Un argumentaire au service de l’intérêt financier ?
L’avis du commissaire enquêteur est élogieux quant à cet emplacement.
Avis du commissaire enquêteur. Fonds AD06 1X198
La virulente contestation des journaux socialistes comme le Petit Provençal et La Lutte Sociale pose question.
« Un hôpital morticole. Une municipalité totalement incapable, issue d’une coterie d’exploiteurs de l’ignorance de toute robe, soutenus par des affairistes de tout acabit, n’ayant pour objectifs que des intérêts personnels les plus mesquins, édifie en ce moment, une construction dont on parlera longtemps dans l’histoire de Puget-Théniers, comme un des plus curieux monuments de la sottise humaine, exploitée par la rapacité cléricale. ( … ) Dans une séance spéciale plénière du Conseil municipal, ( … ) sur l’avis et les conseils hygiéniques magistralement développés par le docteur Barety lui-même, ( … ) il fut décidé à l’unanimité que l’emplacement de l’hôpital devait être choisi sur la rive gauche du Var. ( … ) Six mois après, le maire et le curé, confesseur de tous nos édiles, firent adopter par le Conseil municipal, expurgé depuis, un emplacement dont le choix, pour un hôpital, est une véritable insulte à la Science et un défi monstrueux porté à la Raison. En effet, ces illustres administrateurs, éclairés sans doute par le Saint-Esprit, choisirent la Condamine. ( … ) Si un jour cette construction ( … ) doit servir à hospitaliser des malades, son nom est déjà désigné d’avance : ce sera l’HÔPITAL MORTICOLE»Le Petit Provençal Journal républicain socialiste Vendredi 6 décembre 1901
Cette décision suscite toutefois les doutes du Docteur Alexandre Barety, comme l’atteste l’ébauche de son courrier. Elle génère enfin le désengagement du conseil d’hygiène de Puget-Théniers.
Lettre d'Alexandre Baréty s'intérrogeant sur l'emplacement du futur hôpital. Fonds AD06 1X198.
3. Un Plan Pavillonnaire
On fait le choix de l’ingénieur des Ponts et chaussées Charles Maurel. Ce dernier avait assuré le suivi de plusieurs constructions à Hyères et surtout conduit les travaux de l’asile d’aliénés de Pierrefeu. Il ne commet pas la même erreur que son prédécesseur. Pour réaliser son projet, il s’inspira de tous les documents sur les hôpitaux connus construits depuis 1840, non seulement en France mais aussi à l’étranger. Les découvertes de Pasteur ont insufflé une nouvelle conception de l’hospitalisation des malades avec une séparation rigoureuse des catégories de patients et des sexes. On élabore une architecture hospitalière de pavillons permettant d’isoler les maladies les unes des autres. Le nombre de lits arrêtés s’élève à 33. Ce chiffre alors important se justifiait par l’accroissement probable de la population que l’industrie électrique ne manquerait pas de provoquer et sur les mouvements de troupes qui réunissaient plusieurs milliers d’hommes dans l’arrondissement pendant la saison des manœuvres.
Plan de l’hôpital Bischoffsheim par l'architecte Charles Maurel, 22 novembre 1898. Fonds AD06 1X198.
4. L’Hôpital Bischoffsheim
Raphaël Louis Bischoffsheim
« La grande puissance que donne la fortune, c’est de pouvoir faire du bien autour de soi au point de vue scientifique et avant tout au point de vue de la charité. C’est ce que je cherche à faire de mon mieux. C’est là mon socialisme à moi ». Raphaël Bischoffsheim, lettre datée du 2 mars 1903.
50.000 francs – 100.000 francs – 120.000 francs, C’est ce que propose successivement Raphaël Bischoffsheim, alors « Député de la Montagne » pour le financement de l’hôpital. Cette intervention décisive pour la construction de cet établissement a dû être influencée par le Docteur Alexandre Barety, originaire de Puget-Théniers, Conseil général du canton depuis 1880 et auteur du rapport sur la réorganisation de la santé publique dans les campagnes. Raphaël Bischoffsheim, dont l’œuvre charitable est incontestable a toujours été soucieux du confort de ses électeurs. Il n’a toutefois jamais rechigné sur les libéralités pour se faire réélire. Lors l’élection législative de 1889 dans la circonscription de Nice-Ville, qui a été invalidée pour corruption électorale, il avait dépensé 138.000 francs à cet effet.
Il s’implique cependant personnellement dans le projet comme en témoigne l’un des courriers ci-joint pour faire accélérer l’adjudication et même le choix de l’adjudicataire.
Courrier de Raphaël Bischoffsheim au Préfet pour faire accélerer l'adjudication des travaux de l'hôpital
Il ne verra malheureusement pas l’achèvement des travaux. Il décède le 20 mai 1906, et le bâtiment est réceptionné le 20 octobre 1906. La réception définitive des travaux date du 3 avril 1912.
Hôpital Bischoffsheim en construction, vers 1905. Fonds AD06 1X198.
_Détail du portail principal, Charles Maurel. Fonds AD06 1X197.__
5. Les années difficiles 1907-1924
Si dès octobre 1906, la construction est achevée, l’équipement intérieur est loin d’être en place. En janvier 1907, la Commission ouvre une souscription destinée à couvrir les frais d’aménagement. Il faut attendre mars 1908 pour que le Ministre de l’Intérieur accorde 20 000 francs sur les fonds du Pari Mutuel pour l’achat du matériel. La même année, on se rend compte que la zone est inondable et qu’il est d’une nécessité absolue de construire une digue. On recourt une nouvelle fois à la générosité publique. Le rendu des travaux date du 3 avril 1912.
Plan des jardins et de l’enclos par Bondiment (signé l’architecte alors qu’il n’est que Conducteur de travaux des Ponts et Chaussées.), 10 juillet 1911. Fonds AD06 1X200.
Carte hommage de reconnaissance de la Commission de l’Hospiceemise aux généreux souscripteurs.1910. Fonds Roudoule, écomusée en terre gavotte
En 1911, l’hôpital vide de malades accueille l’armée qui dégrade l’établissement. Quelques patients sont mentionnés en 1912, 16 lits sur 33 sont occupés pour un total de 1560 journées d’hospitalisation.En 1913, la situation est critique, l’hôpital n’a toujours pas de chauffage central, de lingerie, d’instrument de médecine et manque de mobilier. On envisage même de le céder à l’armée pour le transformer en caserne. Le Ministre de la Guerre s’y refuse et La direction de l’Assistance et de l’Hygiène publiques s’y oppose violemment. Toujours sous-employé après guerre, l’hôpital trouve en 1924 son utilité dans le projet de dégager des lits dans les hôpitaux du littoral pour en faire un hôpital de rattachement accueillant les personnes âgées.
Carte postale avec mention de l''Hôtel Bischoffsheim. ND PHOT, vers 1906. Fonds Roudoule, écomusée en terre gavotte. au revers mention manuscrite "L'hôpital civil et militaire".
5. L’essor 1926-2019
L’hôpital passe successivement de 54 à 90 lits. Le second étage du bâtiment administratif est aménagé en chambres. Outre le chauffage au mazout, les années « Front Populaire » donnent naissance à une chapelle d’inspiration néo-romane, une salle de lecture et de couture. Une extension est construite entre 1958 et 1964 en démolissant deux pavillons. A cette époque l’hôpital a une capacité de 220 chambres.
Carte postale : Extension construite entre 1958 et 1964. Fonds, Roudoule, écomusée en terre gavotte
Dans les années 1990, Les chambres sont réaménagées et le succès aidant, deux extensions sont construites. L’hôpital désormais appelé l’hôpital du Pays de la Roudoule est devenu en 2016, un hôpital de proximité avec une direction commune avec le centre hospitalier d’Entrevaux. L’établissement est composé d’un établissement d’hébergement pour personnes âgés dépendantes de 134 lits (EHPAD), d’un foyer d’accueil médicalisé de 30 lits pour un accueil psychiatrique (FAM), ainsi qu’un service de médecine de 6 lits. En 2018, l’établissement, confronté à d’importantes difficultés financières et de gestion, est passé sous la direction du centre hospitalier d’Antibes.
Hôpital de proximité du Pays de la Roudoule (Fondation Bischoffsheim), cliché P.Thomassin, Roudoule, écomusée en terre gavotte
Philippe Thomassin, Roudoule, écomusée en terre gavotte, octobre 2018.
Contributions et remerciements
- Archives départementales des Alpes-Maritimes
- Luc Thévenon
- Michel Graniou