Petites Processions - Grands Rassemblements

Les processions, au-delà de l’acte de dévotion ou de pénitence, permettent de se réunir. Elles sont un élément constitutif du sentiment identitaire. Elles ont un but confraternel, c'est une occasion de se retrouver en famille, entre amis et de s’échanger les nouvelles, de rencontrer sa promise. Aujourd’hui, les processions outre leurs dimensions religieuses, peuvent être assimilées à la recherche d’une identité et d’un passé révolu. La cérémonie religieuse interfère avec les souvenirs, la nostalgie, les racines… Elle s’inscrit dans un processus de transmission des savoirs sociaux et religieux. Elle permet aussi d’exprimer un attachement sentimental et émotionnel pour un lieu : le territoire, l’oratoire, la chapelle. Les Processions génèrent la convivialité. Touristes, simples curieux, habitants, membres du clergé ou hommes politiques se retrouvent, avec des motivations variées, dans des dévotions dédiées au culte de la Vierge et à d’autres saints protecteurs.

Saint-Jacques à Saint-Léger, première moitiè du XXème siècle

A gauche, Une gourde provenant de Lourdes. A droite, Crécelle (coll. Roudoule)

Un Parcours

Toute procession décrit un circuit. Lorsqu’elle est suffisamment longue, le temps du recueillement peut s’allier avec celui de la redécouverte du terroir, donnant l’occasion de transmettre ses toponymes, ses limites, ses « histoires ». La chapelle de romérage de St Julien sur le plateau de Dina, au cœur d’un vaste territoire, rappelant une très ancienne seigneurie qui regroupait les communes de Puget-Théniers, Puget-Rostang, Rigaud, Auvare, La Croix, Touët et Beuil a généré un important pèlerinage. Les oratoires comme les calvaires servent à marquer une interruption dans le cheminement. Cette pause peut être comparée aux stations de chemin de croix. Le prêtre y commente un extrait du cantique et y poursuit un thème de son sermon. On essaie de ne pas revenir à l’église par le même chemin. Mais les calvaires comme les oratoires peuvent constituer le point extrême d’un parcours aller-retour. Quand le lieu s’y prête, la procession peut tourner autour de la chapelle rurale ou du Sanctuaire comme à ND Laghet avant d’y pénétrer. De nos jours, lorsque le but de la procession est accessible par une piste, le marcheur cède le pas au 4X4. Sacrifice à la modernité qui profite aussi au Saint patron dans certains cas, à l’image de la Saint-Barnabé à Entraunes.

Processions d'hier. A partir de gauche, La Croix-sur-Roudoule, première moitiè du XXème siècle ; Saint-Barnabé, 1930 ; Saint-Julien, 1940 ; Saint-Jacques à Saint-Léger, première moitiè du XXème siècle ; La Croix-sur-Roudoule, 1960 ; Saint-Anne à Puget-Rostang, 1942 ; La Croix-sur-Roudoule, 1956

Processions d'aujourd'hui. A partir de gauche, Saint-Julien, début des années 2000 (les deux premières photos) ; Madone de Fenestre, 2003 ; Utelle, 2003

Une Parade

La dévotion est codifiée, c’est un rituel pénitentiel, dont l’ordonnance va se préciser sans cesse comme en témoigne le Rituel à l’usage du Diocèse de Glandèves daté de 1751. Il s’agit de célébrer le triomphe de l’Eglise et d’éviter tout désordre. Si dans l’ensemble, tout semble se dérouler pieusement, le clergé n’est pas à l’abri des dérives. En 1838, le curé Pierre Coste, se plaint des paroissiens de Bouchanières dans les processions dominicales où : "il y a des abus incorrigibles d’y marcher sans ordre et avec peu de dévotion". L’ordre a quelque peu varié depuis. Aujourd’hui, on trouve en tête la Croix de procession, puis les bannières, suivies des enfants de chœur, de la chorale, des pénitents tout cela précédant le clergé et les corps constitués et les fidèles. Le costume du dimanche, la coiffe et la toilette soignée des femmes ne sont plus de rigueur. Aujourd’hui, le randonneur peut se confondre avec le fidèle.

Rituel à l’usage du Diocèse de Glandèves, 1751

La Parure, La "Daurura"

La statue de la Vierge ou d’une autre sainte patronne est parée de sa "daurura" (ses joyaux) pour la procession. On passe des boucles aux oreilles, des bracelets aux bras, des bagues aux doigts, autant que la disposition de la statue le permet. On ajuste sur les épaules et la poitrine un large ruban, bleu ou rose, où sont accrochés quantité de bijoux en or, de croix pectorales, de broches, d’anneaux, de chaînettes «cadenoun», de boucles d’oreilles avec fuseau, toute une collection de la joaillerie séculaire du Pays. Ce sont des ex-voto qui ont été offerts par des fidèles reconnaissants.

A gauche, Sainte-Elisabeth à Barels. A droite, détail ex-voto

Les Chapelles de Romérages

Les chapelles de « romérage » fonctionnent à l’échelle du village et des communautés environnantes comme des lieux de mémoire, berceau de leurs implantations. Elles sont rituellement légitimées par des visites annuelles et les récits qui l’entourent (source guérisseuse à Saint Jean du Désert, légende de St Barnabé à St Martin d’Entraunes…) Une fois par an, le lundi de Pentecôte, les habitants des villages de Puget-Théniers, Puget-Rostang, Rigaud, Auvare, La Croix et Touët se rendaient en procession à la Chapelle Saint Julien sur le plateau de Dina. La visite de Mgr Hachette des Portes en 1785, atteste que les reliques de Saint Julien y étaient portées en procession dans un buste. La chapelle Saint Julien a pu jouer un rôle important pour la communauté concernée. Il peut s'agir de l'ancienne paroisse d’un territoire antérieur au XIe s.

Les Bravades

Dans plusieurs localités, notamment à Auvare, Villars, Entrevaux et Guillaumes, on faisait la bravade lors de la fête patronale. Encore attestée dans les années 1880, cette coutume n’a pas survécu à la Première Guerre Mondiale. Des volontaires formaient, pour la circonstance, la compagnie des bravadiers armés de vieux fusils de chasse, tromblons et autres armes à feu démodées, sous les ordres d’un capitaine paré, d’un baudrier et d’un grand sabre. La Compagnie parcourait le village en rendant honneur à qui de droit. Au moment de l’offertoire, la compagnie pénétrait dans l’église, tambour battant, fifre sifflant ; elle avançait vers l’officiant, comme pour l’offerte, saluait les reliques d’une salve. Puis elle se rangeait dans la nef. A Guillaumes où la coutume a survécu, la compagnie des bravadiers est complétée par un piquet d’honneur de huit hommes portant l’uniforme des sapeurs du premier Empire. Ces soldats, originaires du village, firent le vœu, selon la légende, lors de la campagne de Russie en 1814, de rendre honneur à la Vierge, le jour de son Assomption, s’ils revenaient vivants. Le choix du jour de l’Assomption de la Vierge, le 15 août, n’est par un hasard. Louis XIII, fit de la Vierge Marie, la patronne de France, et ce jour correspond à la saint Napoléon. Bravade à Guillaumes, début XXe siècleGuillaumes, Sapeurs de l'Empire, 2006

Mémoires de Bravades

Dimanche 4 juillet 1880, Fête de la Saint-Pierre à Auvare :

"La jeunesse a l’habitude d’organiser, pour ce jour de fête, une bravade, faite par une bande de jeunes gens du village même, armés de fusils à pierre et commandés par un des leurs, ancien militaire gradé le plus souvent. Il porte autour du corps, par-dessus sa veste, un vieux ceinturon auquel pend un énorme sabre qu’il tire de son fourreau pour commander le feu et présente ensuite droit devant lui, le tranchant tourné en avant. Cette bande, à laquelle se joignent volontiers des enfants munis eux-mêmes de quelques armes à feu démodées, parcourt les rues au son du fifre et du tambour, un vieux tambour épave de la grande Révolution. Dans son parcours joyeux, elle fait des haltes fréquentes tantôt devant l’église, tantôt devant la demeure des principales autorités du pays : le curé, le maire, son adjoint, etc. ; Puis, au commandement de son chef, charge vigoureusement ses armes et fait feu. A ce bruit retentissant, qui se répercute sur le roc voisin à pic, succède aussitôt le sourd roulement du tambour, annoncé par les joyeuses et sifflantes modulations du fifre ; tel un éclair qui, déchirant les rues, sillonne, rapide, l’espace et fait éclater le tonnerre. C’est ainsi que les honneurs sont rendus à qui de droit. "

BARETY Alexandre- « Réminiscences Païennes », dans Nice Historique, 15 février 1909

23 juin 1698, Fête de la Saint-Jean à Entrevaux :

"A midi et demi, la cloche de Notre-Dame annonçait la sortie du Saint et son départ pour l’ermitage du Désert, en même temps que le major commandait deux décharges. Le cortège s’organisait aussitôt : en tête, accompagnées d’un groupe d’hommes armés, les autorités de la ville en grande tenue, puis le porte-enseigne, suivi lui-même d’une compagnie de jeunes hommes ; enfin, en arrière-garde, un corps d’hommes armés, sabre au côté et mousquet sur l’épaule. A une heure, le corps saint sortait de l’église sous un dais et était porté jusqu’aux marches du parvis. Le premier magistrat de la ville, l’esponton à la main, s’avançait aussitôt, au son des fifres et des tambours, pour "faire la révérence". Le porte-enseigne venait saluer à son tour, puis toute la troupe, sur deux rangs, défilait par la basse rue pour aller attendre le saint patron de la ville sur la place du pont. La sortie du Saint se faisait par la grand’rue, où l’afflux des fidèles désireux de baiser la relique était tel qu’il ne fallait pas moins d’une heure pour atteindre le pont. A son arrivée, les portes étaient fermées pour éviter les accidents qu’une surcharge anormale du pont aurait pu occasionner. Une décharge finale était commandée, puis l’ordre une fois rétabli, tel qu’il avait été adopté pour traverser la ville, le premier magistrat, accompagné des principaux de la commune et des capitaines, allait de nouveau faire la révérence, et toute la troupe, musique et drapeau en tête, se tenait prête à gagner la chapelle du Désert. Le signal du départ était donné par une décharge de l’arrière-garde, à laquelle répondait une autre décharge de la compagnie de l’état-major, qui était plus loin, en avant-garde avec mission de dégager la voie où allait s’engager le cortège. Celle-ci revenait au devant du saint patron, qui, après avoir reçu du porte-drapeau le dernier salut, partait enfin pour l’ermitage, pendant qu’une partie de la troupe rentrait à Entrevaux pour accompagner ses chefs à l’hôtel de Ville."

DOMENGE Jean-Luc – Le livre de raison du Chanoine J.B. Douhet prêtre d’Entrevaux à la fin du XVIIIe siècle

Cartes postales, Bravades à Guillaumes

Des Saints Patriotes

Saint Jacques

St Jacques, patron de St Léger, peut se vanter d’être le seul saint des Alpes-Maritimes à avoir été porté en procession les jours de fête avec une écharpe tricolore. Certains curés horrifiés par cette pratique ont tenté de l’interdire, mais l’attachement de la population à cet attribut a eu raison de leurs courroux. Les habitants ayant menacé de faire la grève de la "cadiera" lors des processions ! Imaginez une procession sans son saint ! Impensable !

L’origine de cet attribut pourrait remonter à la Révolution, où un prêtre, ayant prêté serment à la République a continué de gérer l’état-civil dans le village. La commémoration de cette union entre le laïc et le religieux. Par la suite, les jours de fête, était symbolisé par cette écharpe.

Saint Jacques à l'écharpe tricolore

Saint Julien

Fêté le 28 août, saint Julien de Brioude (IIIe siècle) était originaire de Vienne (Isère),sur le Rhône. Soldat romain mais chrétien, il fuit la persécution de Dioclétien mais il est pris par les Romains en Auvergne, près de Brioude où il est décapité en 304. Son tombeau fut l'objet d'un culte dès le IVe siècle. De nombreuses paroisses de France ont pris saint Julien comme protecteur et comme saint patron. La statuaire le représente généralement en soldat romain tenant d'une main la palme du martyre et de l'autre l'instrument du supplice, le glaive. Il semble que la perte de l’Alsace et la Lorraine suite à la guerre de 1870, fut une occasion pour les habitants de Puget-Rostang de remplacer la palme depuis longtemps perdue de la statue du saint par un drapeau français.

Une Procession à l'origine anticléricale : Les carêmentrans ou les faux-pénitents de Puget-Théniers

Les « Carêmentrans » qui inaugurent le début du carême se désignent comme « Pénitents ». Leur défilé est une parodie carnavalesque des processions religieuses des confréries de Pénitents. Il se déroule le soir du mercredi des Cendres. A la tête de cette troupe, un évêque burlesque, distribue de solennelles bénédictions tout en aspergeant les spectateurs. Cette figure « emblématique et satirique » est née juste après le Front Populaire. Elle avait pour but de pousser la dérision en espérant scandaliser les catholiques. En 1937, le costume d’évêque fut loué à Nice. La parodie fut une réussite pour ceux que l’on nommait les « gros rouge » et parfaitement outrageant pour les « cathos » qui ne supportèrent pas que des scènes à caractère scatologique se déroulèrent devant la porte de l’église paroissiale. De nos jours, cette cérémonie se déroule dans la joie et la bonne humeur. Elle manifeste l’attachement au terroir, l’amour des traditions.

Carêmentrans, Puget-Théniers, vers 1956

Carêmentrans, Puget-Théniers, 2007

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