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L'Action enchaînée, haute de 2,15 m domine l'actuel jardin d'enfants.
Plus rarement intitulée « La Liberté entravée », cette statue de bronze installée dès 1908 rappelle le destin tourmenté du révolutionnaire Louis-Auguste Blanqui (1805-1881), natif de Puget-Théniers. Soucieux d’entretenir le souvenir de « L’Enfermé », son biographe Gustave Geoffroy entraîne avec lui la section de Puget de la Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen dans le projet d’ériger un monument. Le Président d’honneur du comité n’est autre que Georges Clémenceau, admirateur de Blanqui qu’il a eu l’occasion de rencontrer.
Louis-Auguste Blanqui, jeune révolutionnaire. Gravue de Monnin
Tombeau de Blanqui par Dalou, cimetière du Père Lachaise à Paris.
C’est à Aristide Maillol (1861-1944) que l’on confie le projet. Issu de la classe de peinture des Beaux-Arts de Paris, il intègre le groupe des Nabis dans le sillon de Gauguin. Il délaisse finalement la peinture pour se consacrer tout à fait à la sculpture à laquelle il a été initié par son ami Antoine Bourdelle, disciple de Rodin. En 1905, alors qu’il reçoit cette commande, sa carrière de sculpteur débute véritablement avec le succès de La Méditerranée présentée au Salon d’Automne. Il s’attache toujours à représenter la femme, et le monument à Blanqui n’échappe pas au choix de l’allégorie féminine dont le modèle est Dina Vierny. Ne répond-il pas à Clémenceau : « Je vous ferai un beau cul de femme, monsieur le Président ! » ? Déjà, on lit le style de Maillol, d’inspiration classique en rupture avec le vocabulaire de Rodin très fouillé, modelé et vibrant. Ici règnent la plénitude de la chair, les volumes lisses, silencieux, massifs et sereins. Ses jambes bien ancrées dans le sol, comme les convictions de Blanqui chevillées au corps, les bras liés dans le dos, le visage détourné qui refuse le pouvoir autoritaire, l’allégorie est pourtant en marche, volontaire, buste en avant.
La Liberté déplacée… et célébrée Dans un premier temps érigé devant la façade sud de l’église paroissiale, le monument est transféré à son emplacement actuel en 1922. Prenant prétexte de l’érection du monument aux Morts à sa place, la municipalité met fin à de virulentes oppositions des dames patronnesses et autres bigots scandalisés par la nudité outrageuse de la statue.Démontée durant la Seconde Guerre mondiale, elle est cachée dans les abattoirs du village. Elle est découverte en mars 1942. L'occupant allemand veut l'envoyer à Hambourg pour la refonte. Elle fut sauvée in extremis de la saisie des nazis grâce à un coup de fil passé par Maillol au préfet. Elle séjourne à Nice au Palais de la Méditerranée avant de retrouver le pré de foire en septembre 1944. Depuis, la « Marianne », ainsi baptisée par les Pugétois, est de toutes les commémorations.
L'Action enchaînée, place de l'église.
L'Action enchaînée, place Auguste Blanqui
Retranscription des lettres d'Aristide Maillol au sujet d'un projet de moulage de l'Action enchaînée.
Extrait d'une lettre autographe d'Aristide Maillol, Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales) 25 décembre 1921. Lot 68, Vente Drouot
Je reçois un télégramme de Matisse me disant qu'il vient d'apprendre qu'il y a des pourparlers entre un particulier de Monaco et la ville de Puget-Téniers pour vendre un modèle de la statue de Blanqui en bronze se trouvant à Puget-Théniers. Matisse me dit qu'il vous a averti et me prie de vous envoyer des renseignements pour que vous puissiez agir... Voici quelques renseignements au sujet de ma statue : la statue a été fondue par Jean-Augustin Bingen et François Costenoble, dans le quartier de la rue d'Alésia (Paris). J'ai oublié l'adresse, mais mon fondeur la connaît et peut vous la donner. Voici l'adresse de mon fondeur : Désiré Godard, 248 rue de Belleville. Paris. Cependant ce fondeur ne possède pas de modèle plâtre de ma statue, ce qui est indispensable pour fondre un bronze. Il faudrait donc qu'il fût fait un moulage sur la statue de Puget-Téniers – c'est pour cela qu'il est plus simple de s'adresser au maire de cette ville. Aucune commande ne m'a été faite de cette statue par l'État ni par aucune municipalité. Il va sans dire que la ville de Puget-Téniers n'a aucun droit de vendre des modèles de ma statue. D'autant plus que cette statue ne m'a pas été payée – j'ai accepté de la faire pour le prix de la fonte. J'ajoute que le plâtre qui a servi à le fonte m'a été acheté par l'État, par les soins de Gustave Geffroy. Dans le cas où ces pourparlers existeraient, je vous serai bien reconnaissant d'employer votre autorité pour les arrêter... » – Banyuls-sur-Mer, 15 décembre 1921.
Je vous remercie de vos deux lettres, mais quel tracas je vous donne. Je vous ai écrit à la prière de Matisse – et je n'ai pas hésité à le faire, ayant toute confiances aux motifs qui ont poussé Matisse à s'adresser à vous... Il faut d'abord savoir de quoi il s'agit – à cette fin, j'ai de suite écrit au maire de Puget-Théniers, mais je n'ai pas encore reçu de réponse. Il faut donc attendre, à moins que vous ne demandiez de nouveau à madame Matisse si elle sait quelque chose de réel. Dans tous les cas, il ne s'agit pas comme vous semblez le croire, de la statue existant déjà à Puget-Théniers et qui est sur place publique depuis 10 ans au moins. Mais bien d'un moulage que le maire laisserait faire (probablement en payant) à un particulier de Monaco, qui en ferait couler un bronze – c'est ce que j'ai compris dans l'avis de Matisse. Je me demande pourquoi Matisse ne répond pas à ma lettre ? Mais n'est-il pas à Puget-Théniers en ce moment ? car je viens de recevoir une carte postale, reproduisant le monument Blanqui, avec cette simple phrase : mes compliments et amitiés, et signé HM. Je suppose que c'est Henry Matisse. Il faut donc attendre des renseignements plus précis. Dans tous les cas, il ne serait peut-être pas mauvais d'annoncer cela dans les journeaux, cela obligerait peut-être le maire de Puget-Théniers à s'excuser. Je réponds à votre questionnaire : 1° Les intentions du maire de P.-T., je ne les connais pas encore. 2° Le bronze se trouve sur place publique. 3° Le bronze est parvenu à P.T. par la suite naturellement de la commande que m'en avait fait le comité de P.-T. par l'intermédiaire à Paris de G. Geffroy, Clemenceau et Mirbeau. 4° Je ne sais lequel était le président. On m'a appelé chez Clemenceau, où j'ai accepté de faire le monument pour 7 mille francs, mais je n'en ai touché que 3 mille qui ont servi à payer la fonte. 5° Je ne vois pas d'inconvénient à la campagne de presse. Je la laisse à votre jugement. Vous pouvez commencer à dire ce que vous a appris madame Matisse... » – Banyuls-sur-Mer, 25 décembre 1921. Je sais enfin la vérité sur notre affaire. J'ai une lettre du maire de Puget-Théniers. Je vous l'envoie, cela m'obligera de vous l'expliquer – voici mon idée là-dessus. J'ai donné cette statue à condition qu'elle serait placée à mon goût. Le comité m'a assuré qu'elle ne serait pas déplacée. La place est admirable. je lutterai pour la conserver. Le ministre des Beaux-Arts Léon Bérard n'a aucun droit à changer ma statue, pour un buste, il me semble. La statue ne se trouve pas devant l'église, mais à côté où il n'y a pas de sortie. C'est le mur doré de cette église qui m'a séduit. Les journaux de Paris ont parlé, en se moquant plusieurs fois de cette affaire, car il y a longtemps que les dévots de Puget-Théniers se plaignent. On se demande pourquoi ? Bien entendu, c'est pure question de politiquaille de village. Voyez vous-même si on peut encore en rire un peu dans ces journaux de Paris. Pour moi, je vais répondre au maire et tâcher de le convaincre... »